Romanov. Ce nom, depuis toujours, était emprunt de noblesse, qui se tacha brutalement de sang dans la nuit du 16 au 17 Juillet 1918 durant l’assassinat du tsar Nicolas II Romanov et de toute sa famille. Les Romanov dont on parle aiment à penser qu’ils sont une branche éloignée, cadette, de la grande famille royale de Russie. Sangs-purs depuis toujours, ils naissent et grandissent avec une cuillère d’or dans la bouche, choyés, élevés dans l’optique d’être au-dessus des autres, de commander. De diriger. Alekseï Romanov tourna le dos à tous ces principes, d’abord en épousant une vélane, une créature magique qui fut aussitôt bannie par les siens, puis en devenant un fidèle de Lord Voldemort. Le climat politique entre l’Angleterre et la Russie était des plus polaires quand Alekseï Romanov réussit, après de nombreux pots de vins et manigances, à décrocher le poste d’ambassadeur russe en Angleterre. Il déménagea, emmenant avec lui sa femme et son immense fortune, pour s’installer dans un luxueux manoir en Angleterre. C’est là que vit le jour Aleksandr, le premier-né, le fils prodige d’Alekseï, celui qui resterait toujours son préféré. Quelques années plus tard naquirent deux jumeaux, aussi semblables que le jour et la nuit. Mikhaïl, le chétif, le maladif, le timide, le silencieux, aussi brun que son père, qui restait dans les jupons de sa mère et qui avait peur de tout, même de son ombre. Malva, l’énergique, l’indépendante, l’insolente, la débrouillarde, aussi blonde que sa mère, qui vadrouillait partout et qui, déjà, gardait inconsciemment un œil sur son frère, comme si elle savait qu’elle était la plus forte des deux et qu’elle devait le protéger des autres, et parfois de lui-même également. Son père, en la regardant, se targuait d’en faire une dame de la Haute, hautaine et froide comme seules les sangs-pures savent l’être, méprisante et snob envers ceux n’étant pas de sa naissance. Sa mère, elle, préférait sourire doucement en ébouriffant les cheveux de sa fille, sachant que, quoi qu’il fasse et quelle que soit la manière qu’il emploie, Malva n’en ferait qu’à sa tête, car l’indépendance et le désir de liberté qui faisait flamber le cœur des vélanes à leur naissance habitait également sa petite fille. Alekseï n’arriverait jamais à rien avec elle. Elle suivrait son propre chemin, dut-elle pour cela entrer en confrontation directe avec lui.
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Malva avait quatre ans lorsqu’elle comprit qu’elle était différente des autres enfants de son âge. Elle était plus vive qu’eux. Bien plus agile. Et incroyablement plus dégourdie que ces morveux courant dans les pattes de leur maman au moindre bleu sur le genou, les larmes aux yeux et la morve au nez. Elle avait compris, en regardant les adultes autour d’elle, en les voyant fixer sa mère, Natalya, avec méfiance, voire dégoût, parfois avec envie pour certains hommes. Elle avait compris, lorsque le regard des garçons de son jeune âge s’illuminait d’une lueur étrange quand elle s’énervait, quand elle perdait le contrôle. Celui des petits garçons, mais parfois, moins souvent, celui des adultes. Qui rencontraient invariablement le regard mauvais et hostile de Natalya Romanov, qui ramenait sa fille dans son giron en assassinant l’adulte du regard. Malva avait compris qu’elle était différente. Ce fut, un soir, Mikhaïl qui s’en ouvrit à leur mère avant qu’elle n’ait pu lui poser la question. Tout comme elle, il se sentait supérieur aux autres. Les autres étaient lents. Mous. Peu dignes d’intérêt. Et ils puaient atrocement. Ils puaient la sueur, l’arrogance, comme leur père. Et parfois, même, souvent, ils puaient la nourriture. Elle était différente des autres parce que sa mère était différente. Vélane de pure souche, elle avait été bannie par sa race pour avoir préféré un sorcier à ses sœurs, et pour lui avoir donné un enfant. Puis un autre. Et d’autres encore. Elle était une demie-vélane, considérée comme une monstruosité chez les sorciers comme chez les vélanes. Malva, quatre ans, avait froidement haussé les épaules en apprenant ça. Elle se fichait éperdument de l’opinion des autres, la sienne lui suffisait amplement pour vivre en paix avec cette drôle de particularité qui ne la quitterait jamais.
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En grandissant, Malva se heurta sèchement aux conventions sociales préétablies dans la haute société sorcière, ce que certains puristes appellent « les sangs-purs » avec un orgueil qui lui donne envie de vomir. Elle apprit très rapidement que sa place dans le monde tenait en une seule maxime coulante de sexisme et composée de cinq petits mots définitifs. Sois belle et tais-toi. Belle, elle l’était. Incroyablement même. On ne naît pas demie-vélane pour être moche comme le fond oublié d’un sac poubelle. Se taire, par contre, c’était une autre histoire. De leur petite famille, Malva, la seule fille, était aussi la plus rétive, voire même la plus violente. Alors se taire, se laisser rabaisser au rang de poupée de porcelaine qui sourit au monsieur pour les intérêts de papa, il en était hors de question. Les Romanov l’apprirent bien assez tôt. Si Alekseï piquait des crises de colère qui faisaient flipper Mikhaïl et qui n’émouvaient pas Malva une seule seconde, Natalya prenait le parti d’en rire doucement, pas peu fière de voir que sa fille avait hérité de l’indépendance et de la liberté évidente des vélanes. Quand vint l’heure de s’intégrer à la bonne société en apprenant l’art de la musique, Alekseï Romanov se heurta à un os. Si sa seule fille avait accepté en soupirant de se plier à ces exigences stupides, c’est parce que sa mère lui avait demandé. Et elle détestait le solfège, à la différence de Mikhaïl qui, lui, adorait ça. Son jumeau fut rapidement très doué en piano, puis en violon, tandis qu’elle louchait sur les partitions en se demandant pourquoi diable il fallait apprendre tout ça avant de toucher à l’instrument. La solution vint finalement d’une de ses pseudos-camarades de la haute, qu’elle ne fréquentait que pour ne pas s’ennuyer pendant ces réceptions barbantes. D’après elle, l’ocarina était un instrument très compliqué à maîtriser, peut-être même le plus dur. Défi relevé. Malva bazarda ses feuilles de solfège à la grande colère de son père, et apprit à jouer de l’ocarina, toute seule. Et elle réussit. Maintenant, même si elle ne s’en vante pas, Malva sait qu’elle peut jouer n’importe quel instrument un peu facile rien qu’à l’oreille, car le solfège reste toujours pour elle une langue obscure que son frère traduit bien mieux qu’elle. Enfin. A chacun sa spécialité et les dragons seront bien gardés.
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Malva détestait l’Angleterre. Le froid humide, bien différent du vrai froid bien froid de sa Russie natale adorée, la pluie presque permanente, le brouillard, le spleen anglais, l’absence de soleil, ou pire encore, de neige, mais surtout, ce qu’elle détestait le plus, c’était la tension. La demoiselle ne doutait pas une seule seconde de l’appartenance de son père dans les rangs des mangemorts, les fidèles de ce Lord machin-chose. Cela la laissait sceptique malgré son jeune âge. Son imbécile de grand frère se pavanait également comme un roi dans son château, ne la laissant pas douter non plus de son allégeance à cet anglais mystérieux qui ne lui inspirait que de la méfiance. Heureusement qu’elle était trop jeune pour qu’on lui propose de rejoindre les mangemorts, son refus net et catégorique aurait créé une vive polémique auprès de son père. Ce dernier, d’ailleurs, tentait d’inculquer à ses jeunes enfants qu’ils étaient supérieurs car sangs-purs, ce à quoi Malva répliquait toujours d’un ton caustique qu’ils étaient inférieurs car demis sangs-purs, ce qui faisait pouffer Mikhaïl et sourire Natalya d’un air assez victorieux. Car Malva, bien qu’elle soit jeune, semblait parfois être la plus dégourdie. La plus éveillée. Elle avait même l’impression dérangeante que son frère faisait exprès de ne rien voir, de ne rien savoir, de ne rien entendre. Les incessantes disputes entre leurs parents, puis entre Natalya et Aleksandr, et surtout, surtout, le tatouage lourd de menaces qu’elle avait un jour entraperçu sur le poignet de son père, qui le frottait avec une grimace douloureuse. Petit à petit, elle découvrait qu’elle n’avait absolument rien contre les autres, sans distinction de sang, de race, de couleur de peau, de présence ou non de magie. Tout ceci irritait fortement Alekseï. Et plaisait énormément à Natalya. Si elle ne prenait pas ouvertement leur défense – elle avait quand même d’autres chats à fouetter, hein, qu'ils se débrouillent tous seuls après tout – elle tentait inconsciemment de freiner la poussée de bêtise paternelle qui sommeillait en chaque membre de sa famille. Et même, parfois, de freiner ça avec violence, comme la fois où, un jour, son frère jumeau, percuté sur le chemin de traverse par une petite née-moldue, la traita méchamment et sans y penser de sale sang de bourbe. La baffe violente que lui colla Malva en se retournant le fit chuter au sol, et ses oreilles tintèrent longtemps des hurlements scandalisés que la petite blonde, plantée au milieu du chemin, les poings plaqués sur les hanches comme le faisait leur mère, poussa en russe comme en anglais pour bien lui faire comprendre la force de sa désapprobation. Après ça, Mikhaïl la bouda plusieurs jours, avant qu’ils ne se réconcilient. Elle vivait peut-être dans une famille de dangereux psychopathes, mais ils restaient quand même sa famille.
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Rentrer à Poudlard fut une libération pour Malva. Les disputes entre ses parents s’intensifiaient, pour tout et pour rien. Parce que Natalya rentrait tard le soir ou disparaissait dans la nuit (ce qu’elle justifiait en disant qu’elle était quand même une vélane, nom de Dieu) ou parce qu’Alekseï disparaissait parfois pendant plusieurs jours sans justification (ce à quoi il répondait qu’il avait des obligations, c’est un homme d’affaires, pas un cireur de chaussures, nom de Dieu également), ou bien parce que des amis d’Alekseï passaient de plus en plus souvent au manoir, s’y attardaient, parfois même sans prévenir, ce qui rendait Natalya folle de rage. Pour éviter de faire un scandale devant les copains mangemorts de son mari – ce qui lui aurait valu de graves ennuis et des retombées néfastes sur ses enfants, raison pour laquelle elle ne disait rien, d’ailleurs – elle quittait le manoir dès qu’Alekseï faisait mine d’y inviter un de ses prétendus amis. Et elle se débrouillait pour prendre ses enfants avec elle. Enfin, presque tous ses enfants, Aleksandr étant un âne préférant suivre la voie que son paternel traçait pour lui, une voie pleine de meurtres et de sang. Malva se rendait compte que, comme sa mère, elle n’éprouvait aucun respect pour ces gens qui venaient chez elle, et qu’elle aussi préférait vider les lieux ou s’enfermer dans sa chambre après un passage par la bibliothèque. Aussi, quitter la maison pour se retrouver à Poudlard était un soulagement. Elle aurait préféré Durmstrang – pour la langue russe, pour la neige, le froid, et l’absence de shitstorm politique aussi – mais on ne lui avait pas laissé le choix. Elle avait passé le trajet en train avec son frère, à mâchonner pensivement des bonbons tout en spéculant sur leur maison à venir. Malva espérait être répartie dans la même maison que son frère, et en même temps, à se demander si elle serait répartie là où elle pensait aller. Elle était presque prête à parier que oui, ce qui ne lui posait pas vraiment de soucis majeurs comme pour les autres élèves de première année, qui stressaient en se demandant quelle maison les accueillerait. La seule chose qui l’attristait, en fait, c’était d’abandonner sa mère et son petit frère. Surtout d’abandonner son petit frère, tellement naïf et influençable … Qui sait ce qu’il risquait de devenir, sous le giron paternel et ses potes les mangemorts à la maison, si Malva n’était plus là pour lui attraper d’autorité la main pour le tirer ailleurs ?
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Sa première année à Poudlard fut particulièrement détestable. Tout le monde savait que le Seigneur des Ténèbres était de retour, et tout le monde semblait vouer un culte à Potter qui l’avait déjà massacré plusieurs fois. Dans un même temps, les gens lançaient des regards hostiles à tous les enfants de ceux jugés un peu trop proches du Seigneur des Ténèbres. Comme les Romanov par exemple. Malva n’eut pas beaucoup d’ennuis à ce sujet-là. Assez placide, elle ne daignait pas relever les regards qu’on lui lançait. Elle restait dans son coin, ne jouait pas à la langue de vipère avec les nés-moldus, ne cherchait pas d’ennuis à ceux qui, comme les Weasley, affichaient clairement leur allégeance à l’Ordre du Phénix. Le regard des autres l’indifférait, et elle se drapa dans ce mépris comme d’une capeline, à tel point que les gens se lassèrent de ne même pas la voir broncher quand ils insinuaient des choses à son sujet. Tout était vrai de toute manière. Elle était une fille de mangemorts, vu que son père en était un. La seule chose qui parvenait à la faire sortir de son mutisme, c’était qu’on dise du mal de sa mère, cette femme qui avait tout sacrifié, même le chant du vent des forêts de Russie pour ses enfants, cette femme qui vivait avec un détraqué pour protéger sa progéniture. Un Gryffondor en fit les frais, après avoir murmuré d’un ton méprisant qu’à tous les coups, la mère Romanov devait servir de pont auprès des vélanes pour le Seigneur des Ténèbres. Les yeux de Malva s’étaient brusquement éclaircis, et ce fut en hurlant des insultes en russe qu’elle tomba sur le Gryffondor pour le massacrer, le tout devant un professeur qui n’eut que le temps de les séparer avant qu’elle ne le tue tout à fait. Mikhaïl eut lui aussi droit à son lot d’embrouilles, et Malva ne le défendit pas en apprenant qu’il avait dit à voix haute que Poudlard acceptait vraiment tout et n’importe quoi. Elle n’attendait que la fin de l’année, pour fuir cette ambiance pourrie, pour rentrer chez elle, pour pouvoir cesser d’être forte et pleurer un bon coup dans les bras de sa mère. La fin de l’année arriva plus vite que prévu, en se soldant par un violent assassinat.
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Les mangemorts attaquèrent Poudlard en fin d’année. Ce fut l’apocalypse dans les couloirs de l’école. Des hurlements, des élèves dans les couloirs qui se battaient contre des adultes en cape noire, des professeurs essayant de repousser l’assaut. Malva, pas folle, avait très vite compris qu’elle ne pouvait absolument rien faire, sinon gêner. En plus, pourquoi aurait-elle fait quelque chose ? Son père et son frère se trouvaient peut-être dans les rangs des mangemorts. En plus il y avait des loups-garous dans les couloirs ! Aussi, comme une très forte majorité d’élèves de première année, Malva resta planquée dans son dortoir, sous son lit, en serrant très fort sa peluche contre elle tout en se faisant un souci monstrueux pour son frère jumeau. Ce fut juste après les combats à Poudlard, juste après l’enterrement de Dumbledore, juste après le retour de ses enfants à la maison, que Natalya Romanov laissa éclater sa rage. Et ce jour-là, les foudres divines tombèrent sur la tête d’Alekseï Romanov. Car, pour Natalya, personne, ne serait-ce le Seigneur des Ténèbres ou encore le Dieu créateur de toutes choses, n’avait le droit de mettre ses enfants en danger sans subir immédiatement son courroux. Ce jour-là, donc, ce fut une vélane folle de rage qui tomba sur Alekseï Romanov. Une vélane presque transformée en oiseau, avec un regard laiteux comme celui d’un mort, et une boule de feu dans chaque main. Ce jour-là, Natalya hurla tellement fort sur son mari qu’elle fit exploser les vitres du manoir, et le feu de ses mains désintégra la belle table en bois verni du salon. Cette explosion de colère scella d’ailleurs définitivement les relations entre Alekseï et Natalya. Parce qu’il avait mis ses enfants en danger, Natalya ne voulut plus jamais voir ses prétendus amis franchir le seuil de la maison, sinon, lui jura-t-elle d’un ton lourd de menaces, ils subiraient le même sort tragique que leur ex belle table de bois. Parce qu’elle ne savait pas rester à sa place et qu’elle osait le menacer, Alekseï cessa d’entretenir le faux-semblant de relation qui subsistait entre elle et lui. C’était très clair, désormais. Il n’y avait pas que dans le monde magique que la guerre faisait rage, et au cœur même du foyer des Romanov, la politique venait de détruire à tout jamais une famille déjà peu soudée.
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La nouvelle des coucheries de la dame des Romanov fit grand bruit dans la société sorcière, et Malva aurait pu en rire si cela n’avait pas éloigné pour de bon sa mère et l’influence bénéfique qu’elle avait sur ses deux jeunes fils. Une gouvernante, payée par Alekseï pour apprendre le solfège à ses fils, fut un jour retrouvé dans le lit conjugal, en train d’apprendre des choses d’une toute autre sorte à sa femme. La colère d’Alekseï fut telle que sa femme, du moins, sa nouvelle ex-femme, ne put y faire face, et elle préféra faire ses valises en douce plutôt que de risquer de perdre la vie. En partant, elle serra ses enfants dans ses bras et leur promit qu’elle reviendrait les chercher. Elle ne pouvait pas partir avec eux maintenant, il fallait d’abord attendre que le vent tourne. Là, avec cette politique de racisme qui imprégnait l’atmosphère, vivre avec une vélane serait dangereux, il valait mieux qu’il reste avec ce sang-pur arrogant qui disait être leur père même s’il n’avait jamais agi comme tel. Au départ de leur mère, Mikhaïl se renferma sur lui-même, et pire que tout, son petit frère ne cessait de lui marcher dans les pattes comme si c’était elle, la nouvelle Mama. Ni une ni deux, Malva endossa ce rôle que ses deux frères attendaient qu’elle prenne, le premier bien inconsciemment, le second avec un regard larmoyant quand Alekseï levait un peu trop le ton dans la maison. Les camarades mangemorts de son père recommencèrent à venir dans la maison, forçant Malva à attraper la main de ses deux frères pour les éloigner de cette influence néfaste qu’ils représentaient. Elle avait l’impression, à présent, d’être devenue le seul être à peu près sain de cette maison, la seule personne qui pouvait empêcher les deux autres de sombrer dans les ténèbres.
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La règle numéro un qu’avait édicté leur mère, en cette rentrée de deuxième année, était de ne surtout pas se faire remarquer. Jamais. Maintenant que les mangemorts régnaient en maître sur Poudlard, Mikhaïl et elle devaient se montrer exemplaires pour ne pas avoir d’ennuis. Mikhaïl se plia très rapidement à cette simple règle, devenant mielleux, limite obséquieux, avec les Carrow. Malva préféra rester elle-même, et qu’importent les risques qui lui tomberaient dessus. Pour elle, il était absolument hors de question de devenir la carpette des mangemorts, de se jeter à plat ventre devant eux pour ne pas avoir d’ennuis. Elle continua donc d’agir comme d’habitude, en frappant violemment ceux qui osaient dire du mal de sa famille ou chahuter son jumeau, en ignorant superbement la couleur du sang des gens à qui elle parlait, et parfois, même, assez rarement, de prendre la défense d’un né-moldu victime d’une injustice criante. Elle devint aussi, cette année-là, batteuse de l’équipe de Quidditch de sa maison. En effet, avec la fuite des nés-moldus et de nombreux sangs-mêlés jugés trop proches de l’Ordre, l’équipe de Quidditch s’était singulièrement vidée de ses effectifs. Le fait de voir une petite demoiselle de deuxième année, juchée sur un balai, une batte à la main, fit rire beaucoup de monde. Mais les gens cessèrent de rire quand, au premier match, elle balança avec force et précision un cognard sur le balai de l’attrapeur adverse pour en briser la pointe. Pour elle, cette deuxième année n’était que souffrances, et elle regrettait le temps béni où Dumbledore était à la tête de l’école, où les élèves étaient protégés des agissements d’une bande de psychopathes qui en auraient fait déprimer les Détraqueurs par leur noirceur d’âme.
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La fin de la guerre fut très rapide. Une nuit, passée dans le froid, à serrer la main de son frère en regardant le château, une nuit entière à se demander, comme tous les autres, qui survivrait. Le camp de nombreux élèves de Serpentard, ceux vêtus de noir ? Ou le camp des autres élèves qui se battaient pour la liberté ? Malva était tiraillée entre deux idéaux. La lutte pour la liberté était pour elle une chose innée, comme le fait de savoir respirer, car elle tenait plus de la vélane que de la sorcière. Mais, d’un autre côté, elle craignait de voir sa famille parmi les cadavres à identifier. Elle méprisait son grand frère et haïssait son frère, mais ils restaient sa famille. Quand on descendit les chercher pour leur annoncer que c’était l’Ordre du Phénix qui avait gagné, elle sentit à peine les doigts de son jumeau qui se resserraient autour des siens. Malva, malgré sa jeunesse et le camp de sa famille, était heureuse que ce soit l’Ordre qui l’ait emporté. Son soulagement se dégonfla quand elle vit les corps sans vie, ceux des sorciers dans la grande salle, ceux des mangemorts dans une pièce à côté. Que personne n’approchait. A part quelques Serpentard qui, se fichant de montrer l’appartenance de leurs parents, voulaient surtout savoir s’ils étaient en vie. Malva fut de ceux-là. Méthodiquement, et sans la moindre émotion, elle souleva chaque capuche et regarda chaque visage. Alekseï et Aleksandr n’y étaient pas. Elle en ressentit du soulagement, teinté d’agacement à l’idée qu’ils allaient trouver un moyen d’échapper à la justice malgré les victimes qu’ils avaient pu faire. Et tandis que Mikhaïl essayait de consoler d’autres élèves ayant reconnu des proches parmi les morts, Malva prit, une fois de plus, les choses en main, en grimpant à la volière pour envoyer Sonja, sa chouette blanche, à sa mère, en lui disant qu’ils avaient survécu et qu’il fallait qu’elle vienne les chercher. La vélane ne fut pas longue à arriver au château, et l’aura de violence qui l’entourait, couplée aux petites étincelles enflammées qui crépitaient autour de ses doigts, dissuadèrent les aurors de lui couper la route. Elle serra ses enfants dans ses bras, très fort, en leur promettant que maintenant, c’était elle qui prendrait soin d’eux. Les choses reprenaient enfin leur cours normal.
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Alekseï Romanov fut jugé par le Magenmagot au grand complet, et aurait pu s’en sortir si son ex-femme n’avait pas décidé d’ajouter son grain de sel au mélange. Si la complicité d’Aleksandr ne faisait aucun doute, ce dernier ayant été clairement vu torturant et tuant des nés-moldus à visage découvert, Alekseï n’avait jamais été vu, même pas par ses enfants. Il pouvait plaider l’Imperium. Et la justice le relâcherait. C’était sans compter sa vélane de femme, qui rongeait son frein durant toutes ces années face au comportement de son mari, et qui, enfin, avait l'opportunité de se venger de tout ce qu'il avait fait subir à ses précieux enfants. Natalya se rendit au procès, et elle témoigna contre lui. Elle raconta ces années de mariage où Alekseï disparaissait, où il revenait avec des cernes et le regard fou, ces réunions d’amis dans la salle à manger, la Marque des Ténèbres qui ornait son poignet et dont il était fier. Des menaces qu’il lui faisait pour qu’elle garde le silence sur ses activités, au risque de voir ses enfants payer à sa place si elle parlait. Natalya, droite comme un i, regardait son mari droit dans les yeux en avouant tout, et ce dernier comprit qu’il ne s’en sortirait jamais. Il fut enfermé à Nurmengard puisque de nationalité russe, et enfin, la famille fut libre, et Natalya put se consacrer pleinement à ses enfants et à sa vie. Vélane d’une époustouflante beauté, elle était depuis toujours contactée par la haute couture sorcière, mais son mari, traditionnaliste, l’empêchait de travailler. Le jour même où Alekseï fut enfermé à perpétuité, Natalya recontacta tous ces gens qui voulaient travailler avec elle, et très vite, elle devint mannequin, célèbre et réputée, d’une beauté aveuglante dopée d’une petite touche de pouvoir vélane. Alekseï s’en serait tué de rage s’il avait pu l’apprendre. Mais il moisissait en prison, et Malva espérait qu’il y mourrait et qu’elle n’entendrait plus jamais parler de lui.
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Les années qui suivirent se succédèrent sans vraiment se ressembler, mais dans une monotonie parfois ponctuée d’un peu d’action. Les sorciers se mirent à courir après les mangemorts restants, et plusieurs fois, Natalya ouvrit les portes du manoir Romanov aux aurors qui le fouillaient pour repartir avec des sacs d’objets de magie noire sans toutefois soupçonner la vélane. En tant que créature magique, elle ne connaissait de la magie que ce qu’elle sentait dans le vent ou ce qu’elle voyait dans les plantes. Pour elle, le globe noir dans le bureau de son ex-mari n’était rien d’autre qu’un globe noir, pas un objet magique interdit dans plusieurs pays, l’Angleterre compris. La coopération franche et honnête de Natalya Romanov plaisait aux aurors. Ca les changeait de ces pro-mangemorts qui leur ouvraient à contrecœur et qui essayaient de cacher le plus d’objets possibles. Les enfants de sorciers reportèrent leur colère et leur suffisance sur les enfants de mangemorts, à tel point que Malva et Mikhaïl durent plusieurs fois faire jouer leurs poings pour se protéger ou protéger leur petit frère de la malveillance de ces prétendus protecteurs du bien. Mikhaïl se battait beaucoup. Perdait souvent. Mais se relevait toujours. Il détestait la bêtise, et depuis que l’Ordre avait gagné, et qu’un gosse de dix-sept ans avait tué le plus grand mage noir du monde, les idiots pullulaient dans les couloirs du château, comme des crapauds dans un étang accueillant. A la différence de son frère, Malva se battait très peu. Certainement parce qu’elle perdait rarement, aussi. Les gens en eurent vite assez de se faire rétamer par une petite blondinette ressemblant à une poupée de porcelaine, et la laissèrent vite en paix. Malva put alors vivre sa petite vie, en collant des raclées à ceux qui embêtaient ses frères, en répondant avec cynisme à ceux qui la prenaient pour une blonde stupide, en se demandant ce qu’elle allait bien pouvoir faire de sa vie, et surtout, en découvrant ce que signifiait réellement être une demie-vélane.
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Malva n’avait jamais vraiment bien compris ce que signifiait être une demie-vélane. Pour elle, les seuls symptômes de son héritage maternel étaient son regard bleu saphir qui s’éclaircissait ou se fonçait au gré de ses violentes émotions, ou encore ses cheveux d’un blond de miel qui semblaient épargnés par les nœuds. Cependant, elle était, après sa mère, la plus vélane de la famille. Inconsciemment, elle ne mangeait jamais de viande, partant du principe qu’elle ne voulait pas ingérer quelque chose qui avait été vivant. A la maison, elle et sa mère mangeaient bio toutes les deux, tandis que ses frères, eux, mangeaient de la viande. Ca ne l’avait jamais gêné, elle ne s’était jamais demandée pourquoi ou comment. Comment Mikhaïl réussissait à manger de la viande alors que cette seule idée lui donnait envie de vomir, par exemple. Elle eut la réponse à tout cela en grandissant. Elle était une demie-vélane. Elle respectait la vie. Elle était persuadée que la magie se trouvait en toute chose, et qu’une heure passée le dos collé contre un arbre était plus utile qu’une nuit de sommeil pour recharger ses batteries magiques. Elle préférait rester accroupie dans un jardin à arroser des fleurs en chantonnant doucement pour les aider à pousser plutôt que de s’encrasser l’esprit dans une salle commune bruyante et mal fréquentée. Elle accepta tout ceci avec aisance. Elle accepta tout aussi bien le fait que sa beauté naturelle était maintenant un pouvoir à temps plein, qui flottait dans son sillage comme les fragrances d'un doux parfum, attirant parfois vers elle hommes et femmes happés par son pouvoir de charme. Douce et patiente, Malva les repoussait les uns après les autres, ne voulant pas utiliser son pouvoir involontaire à mauvais escient. Il l'aidait, parfois, à pimenter ses relations, mais ses quelques aventures ne furent qu'avec des personnes consentantes, que son pouvoir de charme n'avaient pas endormi pour les forcer à accepter. Elle était une demie-vélane, et elle apprit à vivre avec le fait que les gens la regardaient passer avec un air stupide peint sur la figure. C'était amusant, du moins tant que personne ne tentait de la draguer gauchement à cause de ça.
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Malva détestait l’Afrique. Trop chaud, trop sec, bref, très loin du froid auquel elle avait été habituée en Angleterre et en Russie – ah, ce que la Russie pouvait lui manquer. Les choses avaient, pourtant, assez bien commencé. Une septième année qui s’annonçait tranquille, sans mangemorts, sans tueurs en liberté dans leur manoir familial, sans loup-garou qui se balade dans les couloirs de l’école. Une année tranquille. Sauf lorsque la terre avait commencé à trembler et que la panique s’était répandue comme une traînée de poudre dans la grande salle, où elle mangeait avec les autres. Malva n’avait même pas cherché à savoir. Elle avait couru vers son petit frère pour le garder près d’elle avant de rejoindre Mikhaïl et de sortir sa baguette. Quelle que soit la chose qui les attaquait ce jour-là, elle devrait lui passer sur le corps pour toucher ses frères. Mais ce n’était pas une attaque, c’était bien pire que ça. Un déménagement massif de Poudlard et de ses propriétés, vers un lieu qu’elle n’aurait jamais eu l’idée de visiter. L’Afrique. L’Afrique et sa chaleur, son manque d’eau, et ses dangers – même si elle était bien plus perturbée par la forte chaleur qui contrariait ses instincts vélanes nécessitant du froid plus que par le danger ambiant autour d’eux. Ils étaient en Afrique, tout ça à cause de deux imbéciles, les deux seuls qui n’avaient pas réapparu après leur atterrissage en catastrophe en plein milieu de nulle part. Pas le moindre village à côté, que dalle. En plus, ils manquaient maintenant de tout. Les filles couinaient parce qu’elles n’avaient plus de maquillage, les garçons parce qu’ils n’avaient plus de cigarettes. Il fallut replanter des jardins en toute hâte, chasser, protéger le château. Et en plus, depuis leur arrivée ici, personne ne s’était manifestée, et Malva n’avait aucune nouvelle de sa mère, ce qui l’inquiétait assez. Se faisait-elle beaucoup de soucis pour ses enfants ? Avec l’absence de sa mère, Malva avait l’impression d’être devenue la mama de la famille, vu qu’au moindre souci, ses deux frères se tournaient vers elle avec de l’espoir plein les yeux. L’heure était maintenant à l’organisation et à l’entraide, le dernier concept étant d’ailleurs assez peu connu de la jeune Romanov. Pas grave, elle apprendrait sur le tas. Bien obligé, si elle voulait survivre assez longtemps pour retourner en Angleterre !